Près du village d'Ivanovo, la rivière Roussenski Lom a rejoint le Danube à travers un impressionnant massif karstique dont les parois presque verticales s'élèvent de chaque coté de la pittoresque vallée. Au 13e siècle, un remarquable ensemble monastique a été créé dans les cavités de ces rochers et a continué à se développer au siècle suivant sous l'influence du Hesychasm - une école religieuse liée à l'ermitage et soutenue à la fois par le clergé et les autorités séculaires. L'exceptionnelle valeur culturelle et historique du Monastère de Ivanovo est due principalement aux peintures murales du 13e et 14e siècles, préservées dans cinq des chapelles rupestres. La maitrise délicate de la structure et des détails, des lignes élégantes et des couleurs nobles démontrent que certains des meilleurs peintres bulgares de l'époque y ont travaillé. De plus, des ressemblances évidentes entre les peintures murales d'Ivanovo et celles de la capitale Turnovgrad laissent supposer que les artistes qui ont peint les églises d'Ivanovo n'étaient pas que des élèves de la remarquable école d'art de Turnovo, mais faisaient partie de ses représentants les plus distingués.

Madara est également un des importants centres stratégiques à l'époque du Premier Empire bulgare. Ici se trouve le monument le plus exceptionnel de cette époque -- le cavalier de Madara (patrimoine mondial, VIIIe s.). Il s'agit d'un relief taillé sur un roc presque vertical, haut de 100 m, et c'est une partie de la couronne de rochers qui entoure le vaste plateau de Madara. Le relief, dont la superficie fait 40 m2, est situé à quelque 25 m au- dessus de la base du rocher. Le relief représente, grandeur nature, les figures d'un cavalier dans une pose solennelle, d'un lion agonisant, abattu sous les sabots du cheval, percé par la lance du cavalier, et d'un chien courant derrière le cheval. Des deux cotés de cette scène, des inscriptions évoquent d'importants événements historiques qui ont eu lieu à l'aube de l'État bulgare.

 
Les ermitages des Monts de Buzau

 

En suivant la route de Buzau à Brasov, par la vallée du Buzau, à partir de la commune de Patârlagele, qui aspire désormais au statut de ville, une ramification de la route vous conduit, au bout de 10 km seulement à la commune de Colti. Ce petit chemin vicinal vous fait penser à ceux du temps des Daces et des Romains: de part et d'autre, il est bordé de longues clôtures en pierre, celle-ci ayant dû être transportées en charrette à partir du lit du Buzau, tout proche. Les "paysages rupestres" de ce genre sont désormais rares. Ils s'ajoutent au décor naturel béni de Dieu, riche en collines, en plaines, en vallées, en clairières et en agglomération de rochers.

Florentin Popescu

La gloire de la commune de Colti, c'est son musée de l'ambre, qui comprend des pièces de grande valeur provenant d'un gisement tout proche, mais aussi d'autres horizons, où cette pierre fut exploitée au fil du temps.

Le musée pourrait être, à lui seul, une récompense suffisante pour le voyageur qui arrive à Colti. Cependant, la localité possède aussi un autre attrait, d'ordre spirituel celui-ci; des sentiers étroits et tortueux permettent d'accéder sans grand effort à l'ensemble monastique de Nucu, qui comporte plusieurs ermitages et vieilles églises creusés à même le roc et qui comptent parmi les plus anciens de Roumanie.

De "Crucea lui Agaton" à "Crucea Spatarului"

Neuf des plus importants vestiges rupestres, destinés soit à la prière soit à l'habitat, se trouvent creusés dans un massif rocheux nommé naguère la Croix d'Agaton (d'après le nom d'un moine, gravé dans l'une des pièces, à côté de ceux du prince régnant Neagoe Basarab, de l'archevêque Dositei et de la religieuse Teodora) et connu actuellement sous le nom de la Croix du "spatar" (selon une légende locale, un boyard du rang de "spatar" y aurait trouvé refuge et y aurait fait venir une grande croix, transportée à l'aide de 12 buffles). Sur le versant occidental de la montagne se trouvent l'ermitage de Fundul Pesterii (le fond de la grotte), la grotte de Dionisie, celle de Iosif, Piatra îngaurita (la pierre trouée), le Vieil Agaton (dit "la ruine"), "Fundatura" (l'impasse). Sur le versant Est se trouve "Ghereta" (la guérite) et "Bucataria" (la cuisine), d'après des noms locaux.

L'aura de mystère qui entoure depuis longtemps ces monuments rupestres n'a pas empêché les chercheurs de fouiller dans les archives et sur place, analysant les lieux à la loupe, centimètre carré par centimètre carré, corroborant les données obtenues, pour faire toute la lumière sur l'ancienneté des ermitages, sur leurs fondateurs et leurs raisons. Les documents du Moyen Âge témoignent ainsi que seuls Agaton, Fundatura, la Grotte de Iosif, Fundul Pesterii et Piatra îngaurita furent de vrais lieux de culte. Dans la Grotte de Iosif fonctionnait le monastère "Ioan Bogoslov", mentionné avec "Agaton" par des documents de 1587 à 1733; l'ermitage de Fundul Pesterii (le fond de grotte) avait pour nom "Profirul", tandis que Piatra îngaurita (la pierre trouée) était l'ermitage "Arseniile" (d'après le nom de la montagne voisine). La première mention écrite de ces ermitages de Buzau est donnée par un parchemin daté du 13 juillet 1587, émis par le prince régnant Mihnea Turcitul (1577-1583; 1585-1591), dont l'épouse Doamna Neaga (originaire de Cislau, dans la même vallée du Buzau) est un personnage légendaire, qui donna son nom à plusieurs endroits de la région. Le parchemin, signé par le voïvode, fixe le territoire des monastères, nommant donc les lieux de culte du périmètre de la Croix d'Agaton et délimitant les domaines de chacun, pour que les moines "se nourrissent fraternellement".

Franchissons le seuil des ermitages...

Le Vieil Agaton (village de Nucu, commune de Bozioru) se trouve à 3 km. de la localité de Nucu et se situe sur un piton rocheux en grès, limité à l'Ouest par un précipice de 200 m de haut. Il est difficile d'en reconstituer l'aspect premier, en raison des mouvement géologiques qui se sont produits au fil des siècles. Il parait que l'habitat en question fut composé d'au moins trois pièces, au début. On n'y trouve plus que les traces des poutres disparues entre temps. L'endroit semble avoir été déserté avant le XVIe siècle, à l'époque où le Nouvel Agaton existait déjà.

Sis sur le versant Sud de la Croix du "spatar", le Nouvel Agaton fut creusé dans un bloc de roche, au bord d'un ravin de 45-50 m. Le lieu avait eu au début 4 pièces et un abri souterrain. Dans la première pièce, de 2,7 m sur 0,5 au Sud et 0,75 au Nord, se trouvait l'autel. Sur les murs de cette pièce et des autres se trouvent de nombreuses inscriptions en lettres cyrilliques, dont nous reproduisons l'obituaire, datant de l'époque de Mathieu Basarab: "à la mémoire du prince Moïse Voïvode, à la mémoire de l'archevêque Dositei, à la mémoire de soeur Teodora, à la mémoire du moine Agaton."

Fundatura est un rocher isolé, transformé par la taille en habitat rupestre (à 2 km. au Nord du village de Nucu). Ses dimensions extérieures sont: 5,73-6,50 m de long; 3,50 m de large; 1,90 m de haut. A l'intérieur la longueur est de 5,73m, la largeur de 2,10-2,40 m; la hauteur de 1,90m. La grotte possède plusieurs fenêtres creusées dans la pierre et quelques niches et creux pour les poutres de bois. Fundatura est mentionnée pour la première fois comme lieu de culte dans un parchemin datant du 12 janvier 1678 bien que, sans doute, son fonctionnement fut plus ancien.

Fundul Pesterii (long de 5,90 m; large de 1,65 m; haut de 3,40 m) est une grotte naturelle, ultérieurement aménagée en lieu de culte. Ce qui suscite l'intérêt des archéologues, ce sont les inscriptions sur les parois. Elles représentent des poignards du type "skinakes" (spécifiques de la période "Hallstadt" tardive, soit aux VIe et IVe siècles avant JC et les croix et inscriptions en alphabet cyrillique, dont voici quelques extraits : "Sava et Govora", "Dorotei et Pin", "Moine Filotie et Pin", "Joseph", "Mardarie", "Daniil".

Située dans une ramification du massif de Crucea Spatarului, à 3 km. au N-O du village de Nucu, la grotte de Iosif est longue de 6m, large de 1,85 m et haute de 2 m. Le regard est surtout attiré par un dessin situé au-dessus de la porte et qui représente un poisson - symbole paléo-chrétien bien connu des IIIe et IVe siècles. On peut en déduire que des ermites ou moines y vivaient depuis ces temps-là.

Piatra îngaurita (à 8 km N, N-O du village de Nucu, dans le massif d'Arsenia) est longue de 3,45 m, large de 2,60 m et haute de 3,30 m. Elle comportait trois fenêtres. Les résultats des recherches faites sur place ont permis à Pavel Chihaia de déduire qu'il y avait d'abord là deux pièces et que, jugeant d'après les croix incisées sur les parois du rocher, l'habitat serait antérieur au 17e siècle. L'autel est situé au Nord (contrairement aux normes ecclésiastiques, qui le situent généralement à l'Est. Ce serait donc là une improvisation. Sur cet autel, une croix de grandes dimensions a été creusée, ses extrêmités étant élargies, à la manière latine, spécifique aux IV et VIes siècles.

La grotte de Dionisie le fileur (à 2 km au Nord du village de Nucu) est creusée dans un piton rocheux, qui est une ramification de Crucea Spatarului (3,69m de long, 3,55 m de large). Elle n'est accessible que par le Sud, à l'aide d'une échelle et ses fenêtres offrent une large vue sur la vallée du Bordei. On distingue encore sur ses parois certaines inscriptions en cyrilliques et une croix à rosette. Il parait qu'elle fut aussi habitée à partir des IIIe ou IVe siècles.

Alexandru Odobescu fut fasciné...

L'été 1871, attiré par les vestiges archéologiques de la région de Buzau, l'écrivain et historien Alexandru Odobescu partait avec son ami le peintre Henri Trenk (1818-1892) faire un beau voyage du côté des habitats rupestres de Nucu et Alunis. Odobescu avait déjà commencé cinq ans plus tôt des fouilles sur la colline de Pietroasa, lieu de la découverte en 1831 du célèbre trésor de "La poule d'or et ses poussins". Arrivés sur les lieux, les deux hommes étudièrent en détail les grottes (le premier notant les inscriptions intérieures et le second dessinant des relevés). C'était l'année où l'écrivain archéologue avait lancé dans tout le pays son fameux "Questionnaire archéologique", pour réunir le plus d'informations possibles auprès des intellectuels des villages, afin de rédiger un ample ouvrage sur ce sujet. Vingt ans plus tard, le chercheur local Basil Iorgulescu publiait un Dictionnaire géographique, statistique, économique et historique du département de Buzau, ouvrage de référence qui offre plusieurs données importantes sur l'habitat rupestre des Monts de Buzau. Pour revenir à Alexandru Odobescu, mentionnons que, même si ses recherches en sont restées à l'état de documentation, l'écrivain fut fasciné par les lieux et par leurs habitants. Il donna à la littérature roumaine une oeuvre sans égal, d'une rare beauté, son Pseudo-cynegetikos, un essai-modèle qui n'aurait jamais pu être écrit si l'auteur n'avait pas visité le plateau de Bisoca, s'il n'eut vu de ses propres yeux les paysages décrit et s'il n'eut eu l'occasion de parler aux habitants de la région. C'est de sa documentation sur le terrain, sur le vif, qu'est née cette harmonieuse oeuvre littéraire dans laquelle se retrouvent à égale mesure l'histoire, les traditions et la beauté du langage populaire roumain, tels que ceux-ci existaient encore à son époque, sans nulle trace de modernisme.

Que disent les archéologues de nos jours?

Même si le matériel archéologique ne leur permet pas de dater exactement les habitats creusés dans la pierre, les chercheurs ont pu en tirer des conclusions intéressantes et de grande valeur, qui méritent une mention. Des enquêtes faites à Fundul Pesterii ont par exemple permis de lancer l'hypothèse de plusieurs couches successives d'habitat. Les premiers habitants de la grotte auraient enduit le sol d'argile, qui est demeurée jusqu'à ce qu'un incendie ne détruise les composantes de bois de l'intérieur. C'est ce qui expliquerait l'existence d'une couche de cendres. Après quoi une nouvelle couche d'argile aurait été étalée, sur laquelle se trouve actuellement une dernière couche de terre. La conclusion des recherches est que le premier niveau d'habitation appartient à la première époque du fer, le deuxième au Moyen Âge. Le premier aménagement de la grotte date donc des Ier et IVe siècles avant J.C et le deuxième au féodalisme tardif. Pour ce qui est de la deuxième catégorie de logements rupestres, celle-ci comprend les grottes creusées du IIIe au VIe siècle de notre ère, soit la grotte de Iosif, celle des Dionisie le fileur, de Piatra îngaurita. Pour ce qui est de la première des grottes mentionnées, les archéologues ont conclu, par comparaison avec d'autres découvertes, que la présence du poisson incrusté au dessus de l'entrée est une preuve certaine de la datation aux IIIe ou IVe siècles, ce symbole appartenant au christianisme précoce. Chaque lettre du mot poisson (le symbole chrétien le plus ancien découvert à cette heure) - traduit en grec ichtyos, est l'initiale d'un autre mot, ce qui fait qu'en traduction roumaine, cela donne Isus Cristos, fils de Dieu, le Sauveur. L'argument qui situe les autres grottes aux Ve ou VIe siècles est la présence de la croix latine aux extrémités, symbole sculpté aussi bien à l'intérieur qu'à l'extérieur. On a découvert des croix similaires dans plusieurs endroits du pays, sur des monuments funéraires, sur des objets en bois, des maisons et des blocs de pierre compris dans les murs des forteresses.

Ces deux catégories de grottes mises à part, il en existe encore deux: l'une qui servit de logement et qui n'est pas plus ancienne que le XIIIe siècle ("le Nouvel Agaton", "Bucataria" et "Fundatura") et une autre comprenant les grottes que l'on ne saurait dater en raison des destructions naturelles subies ("le Vieil Agaton", "Ghereta" etc.). Malgré les nombreuses questions qui demeurent sans réponse, les habitats rupestres des Monts de Buzau ont certainement, nous disent les archéologues, une très vieille histoire, qui nous reporte plus de deux millénaires et demi en arrière. Si à l'époque féodale elles servaient de lieu de refuge et de culte, avant cela elle eurent une fonction qui nous échappe et dont témoignent les inscriptions et dessins sur les murs. Tout cela est mystère et il faut espérer qu'à l'avenir, la découverte de nouveaux moyens d'investigation permette aux spécialistes de lever le voile sur ces énigmes.

 

 

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Voir aussi le reportage photographique
de Pierre Lacour :
http://lacour.pierre.free.fr/rupestre2_rom04.htm

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